Déclarons l'état d'émergence!

[Jean-Louis Lamboray]

« Avec l’état d’émergence, il y a des embouteillages vers la frontière belge ! » L’amie chilienne qui nous ramenait à la gare de Lille quelques jours après les attentats de Paris voulait bien sûr parler de l’état d’urgence décrété par le gouvernement français. Mais quel magnifique lapsus ! En effet, n’est-il pas temps de rêver et de déclarer l’état d’émergence d’un monde nouveau ?
Nous sommes en crise, non pas parce que nous vivons un quelconque paroxysme pathologique, mais parce que notre temps exige le discernement . En effet, entre la vie et la mort, c’est à chacun de nous de choisir. D’une part, le style de vie basé sur la consommation d’énergies fossiles nous amène inexorablement à notre autodestruction . D’autre part, un monde nouveau est possible, il est même en train d’émerger .
Les lignes de forces technologiques, économiques et spirituelles du monde émergeant sont perceptibles. Trois internets, de l’information, de l’énergie et des objets convergent et permettent des gains extraordinaires de productivité. De ce fait, la séparation entre le travail et « la vraie vie » tend à disparaître . Cependant, l’émergence de notre nouvelle ère ne résulte pas seulement de la révolution technologique en cours. Elle provient également de la remise en cause du dogme selon lequel la recherche de l’intérêt personnel expliquerait le comportement humain. Si cette affirmation explique notre comportement sur les marchés elle n’explique pas la vie. En effet, les sciences convergent pour démontrer que l’homme est fondamentalement altruiste . Cette prise de conscience permet l’éclosion d’organisations non pas inspirées des constructions mécaniques, mais de la vie elle-même. Les membres de ces organisations s’y impliquent totalement parce qu’ils y retrouvent du sens. L’autorité y est distribuée selon les talents de chacun et varie en fonction des situations concrètes .
Une vague d’innovations monte dans le monde entier. Sans se concerter, leurs auteurs semblent mus par une utopie commune où l’homme pourrait s’épanouir dans ses relations à autrui et à la nature. « Nous dépendons de tous les autres êtres vivants et tout ce qui est vivant dépend de nous.» La sobriété heureuse pourrait être à la portée de tous . Cependant, l’évolution vers une société planétaire harmonieuse est loin d’avoir atteint un point de non-retour.
Mise devant le choix entre l’homme et l’argent, la sphère politique semble choisir l’argent. Le dogme de la croissance économique et les intérêts des marchés contrôlés par une minorité paraissent être leur critère principal. En se soumettant aux intérêts des puissants, l’Union Européenne renie ses principes fondateurs et se retrouve vide de sens . Les populistes s’engouffrent dans ce vide pour invoquer des temps révolus et attiser l’exclusion. Ils se placent ainsi sur le même terrain que les terroristes d’états prétendus et existants qui interprètent littéralement leurs textes religieux , pour construire leurs identités meurtrières .
Il est urgent de déclarer l’état d’émergence. L’énergie de notre transformation est disponible au plus profond de nous. Partons à sa découverte et laissons-la agir pour surmonter nos peurs, dépasser nos jugements et oblitérer nos cynismes . Alors nous pourrons apprécier nos différences comme autant de sources de richesse. Dans nos quartiers, villages, associations, lieux de travail, de culte et de loisir formulons notre rêve commun et utilisons nos propres forces pour le réaliserhttp://www.communitylifecompetence.org. Stimulons la création de proche en proche de véritables cellules vivantes, émanations du monde émergeant . Faisons circuler entre ces cellules l’énergie de l’espoir retrouvé. Organisons nos pouvoirs pour que nous mettions nos services publics, nos finances publiques, nos lois et nos organes de communication au service du monde auquel nous aspirons profondément.

[Marie Lamboray]

Translation by Jean-Louis:

Let us Decree the State of Emergence

"With the government’s decree of the state of emergence, the controls at the Belgian border of Lille are plagued with traffic jams!" Our Chilean friend, who was giving us a ride back to the Lille train station, meant to refer to the state of emergency. But what a beautiful slip of the tongue! Indeed, isn’t it urgent to recognize and to support the state of emergence of our world?

We are in crisis, not because we have reached some pathological paroxysm, but because our time requires discernment. Indeed, it is up to each of us to choose between life and death. Either we march to our destruction through the continuation and expansion of our lifestyle based on the consumption of cheap fossil fuels, or we co-create a new world, of which we can already observe many small-scale illustrations.

The technological, economic and spiritual forces at work in the emergence of the new world are noticeable. Three internets connect information, energy and objects to allow for extraordinary productivity gains. Thus the gradual fading of the separation between work and "real life.” However, this technological revolution does not explain on its own the emergence of a new era. The dogma that the pursuit of self-interest would explain human behavior is put into question. Self-interest might explain markets, but it does not explain life. Indeed, various scientific disciplines converge to show that man is basically altruistic. The culture of a growing number of organizations does not draw its inspiration from mechanical engineering, but from life itself. In these organizations, members commit themselves fully because they find meaning in the goals that are being pursued. The authority varies with concrete situations according to individual talents.

In the rising wave of worldwide innovations, their authors seem driven by a common utopia where man could flourish in its relations with others and with nature. "We depend on all other living beings and all living beings depend on us." The dream of happy simplicity is within reach. However, the move towards a harmonious global society is far from having reached a point of no return.

When presented with a choice between man and money, political leaders seem to choose money. Economic growth and interests of markets controlled by a minority appear to be their main criterion. By submitting itself to powerful interests, the European Union becomes devoid of the higher purpose set out by its founders. Populists rush into the void to invoke bygone times and stir exclusion. They thus place themselves on the same ground as the terrorists who build their murderous identities on the literal interpretation of ancient religious texts.

It is therefore urgent to declare a state of emergence. The energy of transformation is available deep within us. Let us allow it to overcome our fears, to dissolve our judgments and to obliterate our cynicism. We will then appreciate our differences as so many sources of wealth. In our neighborhoods, towns, associations, places of work, of worship and of leisure let us formulate our common dream and use our individual and collective strengths to progress towards it. Step by step, we will reach out to each other to create living cells connected to each other to allow the circulation of energy and of hope. It is incumbent on us and on no one else to organize our powers to ensure that our public services, our public finances, our laws, and our communication bodies are in service of one harmonious, happy world.