Dignité dans la Vie, Dignité dans la Mort

[Jean-Louis Lamboray]

Koppal, petite ville du Nord du Karnataka. Une petite maison que rien ne distingue des autres maisons de la ruelle. C’est un centre d’animation pour jeunes. Nous sommes 4 visiteurs : Sue, venant du Zimbabwe, Olinda, du Mozambique, Padma venant de Hyderabad en Inde et moi-même, venant de Belgique. Divya et Murari de l’association Samraksha nous accompagnent. Une vingtaine de femmes et une dizaine d’hommes ont fait 4 heures de route depuis le district voisin de Raijur pour nous rencontrer à Koppal. Nous nous rassemblons dans une petite salle : il ne reste pas un mètre carré d’espace libre ! Qu’importe la chaleur et le manque relatif de confort : c’est la fierté et la joie de vivre qui irradie de nos hôtes. Des enfants jettent un coup d’œil par la fenêtre, mais ils sont vite écartés. C’est que nous entamons sans attendre une conversation d’adultes ! Pas besoin de poser de question ! Ces personnes qui vivent du commerce du sexe veulent partager leur expérience. Nos hôtes se relaient pour raconter l’histoire de leur association « Belingalu Mahila Okkotaa ». Au début, c’était le
chacun pour soi. « Il pouvait y avoir une descente de police chez ma voisine, ce n’était pas mon problème ! » Puis est venu Samraksha. Qu’ont fait les accompagnateurs de cette association? « Ils nous ont simplement invités à nous rencontrer. Nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup en commun : nos histoires personnelles, notre souci pour nos enfants, et notre aspiration à être respectées par la société. Alors nous avons créé des petits groupes locaux, qui se sont rapidement fédérés. Aujourd’hui la personnalité juridique de notre association est reconnue ! »

Une femme mime avec grâce comment elle convainc ses clients d’utiliser un
préservatif : « Chéri, tu ne me connais pas. Qui sait si je ne porte pas le virus ? Pense à toi et à ton épouse ! Et moi je ne te connais pas non plus ! » Belingalu est plus qu’une association professionnelle, mais plutôt une association de femmes solidaires. Cette solidarité s’exprime entre elles, pour leurs familles et pour la société tout entière. Nombreuses sont les femmes de la communauté qui viennent demander conseil à Beladingalu. Cela n’empêche pas aux membres de l’association de ‘taper sur la table’ quand c’est nécessaire.

« L’autre jour, Rekha, une femme de notre association est décédée. Personne de sa famille ne voulait s’occuper de ses funérailles. Nous, nous avons un principe : dignité dans la vie, dignité
dans la mort. Alors, nous nous sommes rendues au District pour exiger de l’aide. Nous avons dit : quand Rekha était en vie, elle a sans doute voté pour vous. Alors, aidez-nous à l’accompagner vers l’au-delà ! Nous avons obtenu de l’aide , et avons organisé les funérailles de Rekha. Ensuite, nous nous sommes réunies pour décider ce que nous ferions de la fille de Rekha. En général les mamans sont heureuses quand leurs filles choisissent d’exercer le même métier qu’elles. Mais quelle maman souhaiterait que sa fille exerce notremétier ? Nous ne voulions pas l’élever près de chez nous, car c’était trop risqué. Alors nous l’avons envoyée au pensionnat. Nous nous cotisons pour en payer les frais et nous nous relayons pour lui rendre visite chaque fin de semaine »

Les femmes de Beladingalu exigent leurs droits parce qu’elles sont solidaires, entre elles, avec leurs clients, avec leur famille et avec la société tout entière.

[Marie Lamboray]

Quelle belle histoire! Merci.